La famille, les amis, des apéros, des repas, de longues ballades, de la pluie, du soleil, des fleurs... Quoi de mieux ?
"Je partis à travers les champs. Ah ! le coeur me battait ! Le printemps rayonnait dans toute sa splendeur. Et quand je poussai le portail donnant sur la prairie, mille parfums d'herbes, d'arbres, d'écorce fraîche me sautèrent au visage. Je courus sans me retourner jusqu'à un boqueteau. Des abeilles y dansaient. Tout l'air, où flottaient les pollens, vibrait du frémissement de leurs ailes. [...] J'étais enivré. [...] Une heure après, j'étais au bord de la rivière. Quelle splendeur ! L'onde était devenue limpide et le bleu d'un ciel vif, lavé, où le vent poussait en riant deux petits nuages, se reflétait sur ces eaux claires qui d'un grand mouvement fuyaient vers un horizon de collines. Le terrible courant central, crête de noir, ne troublait plus ce miroir lisse. La rivière riait entre ses rives colorées de rose par le jour qui se levait."
Henri Bosco, « L’enfant et la rivière ».
Il y deux semaines j'ai fait une petite visite éclair (et surprise) à ma Môman en Normandie. Pas eu le temps de faire beaucoup de photos, mais quelques une tout de même:
Beauregard - Malgré les apparences, j'étais bien de niveau en prenant cette photo...
Non, non, ça n'a pas été difficile du tout de repartir...
Vous allez peut-être me dire que j'ai des goûts un peu morbides, mais j'aime beaucoup cet endroit, près de l'entrée de l'église de mon village percheron. Les tombes qui entouraient l'église ont presque toutes été supprimées il y a des décennies, après la création d'un cimetière, quelques mètres plus loin. Seuls subsistent ces deux caveaux familiaux, que je trouve d'une beauté à la fois simple et élégante.
Petite, ils me fascinaient : je me dressais sur le pointe des pieds pour essayer de voir au travers des grilles et des vitraux de leurs portes. Je me disais que les gens qui dormaient à l'intérieur avaient dû être des gens drôlement importants pour ne pas devoir se contenter des croix en métal et des fleurs en plastique des tombes du cimetières. Je me disais surtout que ce serait vraiment chouette d'en avoir une comme ça pour jouer.
Même aujourd'hui, j'aurais presque envie d'une petite maison comme cela rien qu'à moi - mais de mon vivant bien sûr - pour m'isoler un peu du monde extérieur de temps en temps... Pas vous ?
J'aime Lyon. J'ai aussi aimé la Belgique, Saint Etienne, Le Mans, Barcelone. J'ai aimé tous les endroits où j'ai vécu, avec plus ou moins d'intensité certes, mais je m'y suis toujours plu. Pourtant, jamais nulle part ailleurs je ne me suis sentie tout à fait "chez moi".
Ce sentiment viscéral d'appartenance à une terre, je ne le ressens et ne le ressentirai probablement jamais que dans mon minuscule village ornais. Là-bas, pas de monuments, pas de musées, pas de bibliothèque, pas de théâtre, pas de cinéma. Même pas une boulangerie, c'est vous dire.
Là-bas il y a une église du XIIe siècle vide de parroissiens et de curé. Il y a un moulin de 1809 dont la roue ne tourne plus depuis la fin de la 2e Guerre Mondiale. Il y a une gare qui n'a pas vu un train depuis plus d'un demi-siècle. Il y a un cimetière qui compte plus de tombes que le village ne compte d'habitants. Il y a une petite école fermée depuis 20 ans cette année, et dont les tableaux noirs ne serrent plus qu'à compter les points des joueurs de billard français qui l'occupent désormais.
Mais là-bas il y a des collines vertes. Il y a des bois tapissés de bruyères. Il y a le bruissement des ruisseaux et de la rivière qui parcourent le bourg et ses campagnes. Il y a des maisons de pierre blanche aux fenêtres et portes entourées de briques. Il y a le silence et les chants des oiseaux. Il y a des odeurs de terre, d'herbe coupée et de jacinthes sauvages. Il y a des chênes centenaires et des noisetiers grouillant d'écureuils. Il y a des chemins, des kilomètres de chemins à parcourir seul ou accompagné, à pied, à cheval, à vélo. Il y a des hérons qui règnent sur les étangs. Il y a des soirées d'été passée à regarder les étoiles filantes. Il y les fantômes bienveillants de ceux qui ne sont plus. Il y a d'immenses sequoias qui toisent les toits de tuiles. Il y a aussi et surtout des gens que j'aime, qu'ils y habitent toute l'année ou bien qu'ils viennent y passer un week-end ou des vacances. Il y a mes souvenirs d'enfance, nombreux et paisibles. Là-bas, il y a toute ma vraie richesse, mes origines, tout ce qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui.
Il est plus facile de savoir qui l'on est vraiment lorsque l'on sait d'où l'on vient. Il est également plus facile de s'éloigner quand on sait où se trouve notre point de départ, et quand l'on a la certitude que quoi qu'il arrive, on y reviendra toujours.
En visite chez des amies en Normandie, alors que hôtes et visiteurs avaient déjà quitté le pièce, mon regard s'est accroché à cette loupe dont l'ancienneté n'avait d'égale que celle du meuble sur lequel elle avait été laissée.
Je n'ai pu m'empêcher de voler une image de cet objet qui ne m'appartient pas tant la froide lumière hivernale semblait se donner du mal pour le mettre encore davantage en valeur sur ce noble meuble.
